Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/561

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nourrissaient de leur sang : « Le Sarmate se nourrit aussi du sang de ses chevaux (Martial). » — Les Crétois, assiégés par Métellus, se trouvèrent à tel point hors d’état d’étancher leur soif, qu’ils eurent recours à l’urine de leurs chevaux. — Pour montrer comment se conduisent les armées turques et combien elles ont moins de besoins que les nôtres, on dit qu’outre que les soldats ne boivent que de l’eau et ne mangent que du riz et de la viande salée réduite en poudre, dont chacun porte un approvisionnement d’un mois, ils vivent aussi, le cas échéant, comme les Tartares et les Moscovites, du sang de leurs chevaux, qu’ils salent pour le conserver.

Effet produit par l’apparition des chevaux, lors de la découverte de l’Amérique, sur les peuplades qui n’en avaient jamais vu. — Les peuples des nouvelles Indes s’imaginèrent, quand les Espagnols pénétrèrent chez eux, qu’hommes et chevaux étaient des dieux ou tout au moins des êtres d’une nature supérieure à la leur. Certains après avoir été vaincus, venant implorer leur pardon et la paix, après avoir offert aux hommes de l’or et des viandes, en offraient également aux chevaux auxquels ils tenaient même langage que celui qu’ils avaient tenu aux premiers, et ils interprétaient leurs hennissements comme un assentiment donné à l’arrangement et à la trêve qu’ils leur proposaient.

Montures diverses en usage dans les Indes. — Dans les Indes orientales, se faire porter par un éléphant était, jadis, le premier de tous les honneurs et exclusivement réservé aux rois ; venait immédiatement après, être traîné dans un char attelé de quatre chevaux ; ensuite, monter un chameau ; en dernier lieu et le moins considéré, se faire porter ou véhiculer par un seul cheval. — Un de nos contemporains écrit avoir vu, dans ces mêmes contrées, des pays où on chevauche sur des bœufs qui ont bât, étriers et bride, et s’être bien trouvé de ce mode de locomotion.

Comment, au combat, accroître l’impétuosité du cheval. — Quintus Fabius Maximus Rutilianus, dans un combat contre les Samnites, voyant que ses cavaliers, après trois ou quatre charges, n’avaient pu rompre les rangs de l’ennemi, prit le parti de leur faire débrider leurs chevaux et donner à toute force de l’éperon, si bien que rien ne pouvant les arrêter, ni armes, ni hommes, renversant tout, ils ouvrirent le passage à leur infanterie qui fit éprouver à l’adversaire une très sanglante défaite. — Quintus Fulvius Flaccus agit de même contre les Celtibériens : « Pour rendre leur choc plus impétueux, débridez vos chevaux, dit-il, et lancez-les ainsi contre l’ennemi ; c’est une manœuvre qui a souvent réussi à la cavalerie romaine et lui a fait le plus grand honneur… Ils débrident leurs chevaux, percent les rangs ennemis, puis, revenant sur leurs pas, les traversent à nouveau, brisent toutes les lances et font un grand carnage (Tite-Live). »

Autres particularités relatives au cheval. — Le duc de Moscovie devait jadis, comme marque de respect aux Tartares, quand ils lui envoyaient des ambassadeurs, aller au-devant d’eux à