Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/565

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un pied sur chacun et, sur ses épaules, un second homme ; ce dernier, debout sur le premier, tirait avec un arc, sans que le cheval suspendît sa course, des coups qui portaient admirablement. D’autres couraient les jambes en l’air, la tête sur la selle, entourée de lames de cimeterre attachées aux flancs du cheval. — Dans mon enfance, le prince de Sulmone, à Naples, obtenait tout ce qu’il voulait d’un cheval difficile, et pour montrer la solidité de son assiette, plaçait sous ses genoux et ses orteils, pendant qu’il travaillait, des pièces de monnaie, qui ne se déplaçaient pas plus que si elles y eussent été fixées.

CHAPITRE XLIX.

Des coutumes des anciens.

Il est naturel de tenir aux usages de son pays, cela rend plus surprenante encore l’instabilité des modes en France. — J’excuserais volontiers, chez mes compatriotes, de n’admettre comme modèle et de ne considérer comme étant la perfection, que leurs propres mœurs et usages, car c’est un défaut général, non seulement chez le vulgaire, mais chez presque tous les hommes, de ne voir et de ne suivre que ce qu’ils ont pratiqué depuis qu’ils sont nés. Je ne me plains pas de ce que, lorsqu’ils voient un Fabricius ou un Lélius, ils leur trouvent une attitude et une démarche barbares, puisqu’ils ne sont pas vêtus comme nous et n’ont pas nos manières ; mais je regrette en eux cette singulière inconséquence qui fait qu’ils s’en laissent si aveuglément imposer par les modes de l’époque actuelle, qui exercent sur eux un tel ascendant, qu’ils sont capables de changer d’opinion et d’avis sur ce point aussi souvent qu’elles changent elles-mêmes, voire même tous les mois, se forgeant chaque fois des raisons pour justifier à leurs propres yeux les jugements les plus divers qu’ils en émettent. — Quand on portait le buse du pourpoint sur le milieu de la poitrine, à hauteur des seins, chacun trouvait d’excellentes raisons pour affirmer que c’était bien ainsi que ce devait être ; quelques années plus tard, la mode l’a fait descendre au niveau des hanches et chacun se moque de la façon dont on en usait précédemment et la déclare déraisonnable autant qu’insupportable. — La manière dont on s’habille aujourd’hui amène la critique immédiate de la façon dont on s’habillait hier, critique qui s’exerce si nettement et d’un si commun accord, qu’on dirait que, sur ce chapitre, nous sommes atteints d’une sorte de manie qui bouleverse notre entendement. Et comme nous nous empressons d’adopter avec tant de promptitude et si subitement les changements qui surviennent que l’imagination de