Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/564

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vn pied sur vne selle, l’autre sur l’autre, portant vn second sur ses bras, piquoit à toute bride : ce second tout debout, sur luy, tirant en la course, des coups bien certains de son arc. Plusieurs, qui les iambes contre-mont, donnoient carrière, la teste plantée sur leurs selles, entre les pointes des simeterres attachez au harnois. En mon enfance le Prince de Sulmone à Naples, maniant vn rude cheual, de toute sorte de maniemens, tenoit soubz ses genouz et soubs ses orteils des reales : comme si elles y eussent esté clouées : pour montrer la fermeté de son assiette.

CHAPITRE XLIX.

Des coustumes anciennes.


I’excvserois volontiers en nostre peuple de n’auoir autre patron et règle de perfection, que ses propres meurs et vsances : car c’est vn commun vice, non du vulgaire seulement, mais quasi de tous hommes, d’auoir leur visée et leur arrcst, sur le train auquel ils sont nais. Ie suis content, quand il verra Fabritius ou Lælius, qu’il leur trouue la contenance et le port barbare, puis qu’ils ne sont ni vestus ny façonnez à nostre mode. Mais ie me plains de sa particulière indiscrétion, de se laisser si fort piper et aueugler à l’authorité de l’vsage présent, qu’il soit capable de changer d’opinion et d’aduis tous les mois, s’il plaist à la coustume : et qu’il iuge si diuersement de soy-mesme. Quand il portoit le buse de son pourpoint entre les mammelles, il maintenoit par viues raisons qu’il estoit en son vray lieu : quelques années après le voyla aualé iusques entre les cuisses, il se moque de son autre vsage, le trouue inepte et insupportable. La façon de se vestir présente, luy fait incontinent condamner l’ancienne, d’vne resolution si grande, et d’vn consentement si vniuersel, que vous diriez que c’est quelque espèce de manie, qui luy tourneboule ainsi l’entendement. Par ce que nostre changement est si subit et si prompt en cela, que l’inuention de tous les tail-