Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/636

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ie n’eusse pas creu d’yuresse si profonde, estoufée, et enseuelie, si ie n’eusse leu cecy dans les histoires : Qu’Attalus ayant conuié à souper pour luy faire vne notable indignité, ce Pausanias, qui sur ce mesme subiect, tua depuis Philippus Roy de Macédoine (Roy portant par ses belles qualitez tesmoignage de la nourriture, qu’il auoit prinse en la maison et compagnie d’Epaminondas) il le fit tant boire, qu’il peust abandonner sa beauté, insensiblement, comme le corps d’vne putain buissonniere, aux muletiers et nombre d’abiects seruiteurs de sa maison. Et ce que m’aprint vne dame que i’honnore et prise fort, que près de Bordeaux, vers Castres, où est sa maison, vne femme de village, veufue, de chaste réputation, sentant des premiers ombrages de grossesse, disoit à ses voisines, qu’elle penseroit estre enceinte si ell’auoit vn mary. Mais du iour à la iournee, croissant l’occasion de ce soupçon, et en fin iusques à l’euidence, ell’en vint là, de faire déclarer au prosne de son église, que qui seroit consent de ce faict, en l’aduoüant, elle promettoit de le luy pardonner, et s’il le trouuoit bon, de l’espouser. Vn sien ieune valet de labourage, enhardy de cette proclamation, déclara l’auoir trouuée vn iour de feste, ayant bien largement prins son vin, endormie en son foyer si profondement et si indécemment, qu’il s’en peut seruir sans l’esueiller. Ils viuent encore mariez ensemble.

Il est certain que l’antiquité n’a pas fort descrié ce vice : les escris mesmes de plusieurs Philosophes en parlent bien mollement : et iusques aux Stoïciens il y en a qui conseillent de se dispenser quelquefois à boire d’autant, et de s’enyurer pour relascher l’ame.

Hoc quoque virtutum quondam certamine magnum
Socratem palmam promeruisse ferunt.

Ce censeur et correcteur des autres Caton, a esté reproché de bien boire.

Narratur et prisci Catonis
Sæpe mero caluisse virtus.

Cyrus Roy tant renommé, allègue entre ses autres louanges, pour se préférer à son frere Artaxerxes, qu’il sçauoit beaucoup mieux boire que luy. Et és nations les mieux réglées, et policées, cet essay de boire d’autant, estoit fort en vsage. I’ay ouy dire à Siluius excellent médecin de Paris, que pour garder que les forces de nostre estomac ne s’apparessent, il est bon vne fois le mois, les esueiller par cet excez, et les picquer pour les garder de s’engourdir. Et escrit-on que les Perses après le vin consultoient de leurs principaux affaires.