Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/682

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sceust contrefaire vne telle asseurance : il auoit le cœur trop gros de nature, et accoustumé à trop haute fortune, dit Tite Liue, pour sçauoir estre criminel, et se demettre à la bassesse de deffendre son innocence.C’est vne dangereuse inuention que celle des gehennes, et semble que ce soit plustost vn essay de patience que de verité. Et celuy qui les peut souffrir, cache la verité, et celuy qui ne les peut souffrir. Car pourquoy la douleur me fera elle plustost confesser ce qui en est, qu’elle ne me forcera de re ce qui n’est pas ? Et au rebours, si celuy qui n’a pas faict ce dequoy on l’accuse, est assez patient pour supporter ces lourments, pourquoy ne le sera celuy qui l’a faict, vn si beau guerdon, que de la vie, luy estant proposé ? Ie pense que le fondement de cette inuention, vient de la consideration de l’effort de la conscience. Car au coulpable il semble qu’elle aide à la torture pour luy faire confesser sa faute, et qu’elle l’affoiblisse et de l’autre part qu’elle fortifie l’innocent contre la torture. Pour dire vray, c’est vn moyen plein d’incertitude et de danger. Que ne diroit on, que ne feroit on pour fuyr à si griefues douleurs ?

Etiam innocentes cogit mentiri dolor.

D’où il aduient, que celuy que le juge a gehenné pour ne le faire mourir innocent, il le face mourir et innocent et gehenné. Mille et mille en ont chargé leur teste de faulces confessions. Entre lesquels ie loge Philotas, considerant les circonstances du procez qu’Alexandre luy fit, et le progrez de sa gehenne. Mais tant y a que c’est, dit-on, le moins mal que l’humaine foiblesse aye peu inuenter : bien inhumainement pourtant, et bien inutilement à mon aduis.Plusieurs nations moins barbares en cela que la Grecque et la Romaine, qui les appellent ainsin, estiment horrible et cruel de tourmenter et desrompre vn homme, de la faute duquel vous estes encore en doubte. Que peut il mais de vostre ignorance ? Estes vous pas iniustes, qui pour ne le tuer sans occasion, luy faites pis que le tuer ? Qu’il soit ainsi, voyez combien de fois il ayme mieux mourir sans raison, que de passer par cette information plus penible que le supplice, et qui souuent par son aspreté deuance le supplice, et l’execute. Ie ne sçay d’où ie tiens ce conte, mais il rapporte exactement la conscience de nostre iustice. Vne femme de village accusoit deuant le General d’armée, grand iusticier, vn soldat, pour auoir arraché à ses petits enfants ce peu de bouillie qui luy restoit à les substanter, cette armée ayant tout rauagé. De preuue il n’y