Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/526

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Toutes actions publiques sont subiectes à incertaines, et diuerses interpretations : car trop de testes en iugent. Aucuns disent, de cette mienne occupation de ville (et ie suis content d’en parler vn mot : non qu’elle le vaille, mais pour seruir de montre de mes mœurs en telles choses) que ie m’y suis porté en homme qui s’esmeut trop laschement, et d’vne affection languissante : et ils ne sont pas du tout esloignez d’apparence. l’essaye à tenir mon ame et mes pensées en repos. Cum semper natura, tum etiam ætate iam quietus. Et si elles se desbauchent par fois, à quelque impression rude et penetrante, c’est à la verité sans mon conseil. De cette langueur naturelle, on ne doibt pourtant tirer aucune preuue d’impuissance : car faute de soing, et faute de sens, ce sont deux choses et moins de mes-cognoissance et d’ingratitude enuers ce peuple, qui employa tous les plus extremes moyens qu’il eust en ses mains, à me gratifier : et auant m’auoir cogneu, et apres. Et fit bien plus pour moy, en me redonnant ma charge, qu’en me la donnant premierement. le luy veux tout le bien qui se peut. Et certes si l’occasion y eust esté, il n’est rien que i’eusse espargné pour son seruice. Ie me suis esbranlé pour luy, comme ie fais pour moy. C’est vn bon peuple, guerrier et genereux capable pourtant d’obeyssance et discipline, et de seruir à quelque bon vsage, s’il y est bien guidé. Ils disent aussi, cette mienne vacation s’estre passée sans marque et sans trace. Il est bon. On accuse ma cessation, en vn temps, où quasi tout le monde estoit conuaincu de trop faire. l’ay vn agir trepignant où la volonté me charrie. Mais cette pointe est ennemye de perseucrance. Qui se voudra seruir de moy, selon moy, qu’il me donne des affaires où il face besoing de vigueur, et de liberté qui ayent vne conduitte droicte, et courte et encores hazardeuse : i’y pourray quelque chose. S’il la faut longue, subtile, laborieuse, artificielle, et tortue, il fera mieux de s’addresser à quelqu’autre. Toutes charges importantes ne sont pas difficiles. l’estois preparé à m’embesongner plus rudement vn peu, s’il en eust esté grand besoing. Car il est en mon pouuoir, de faire quelque chose plus que ie ne fais, et que ie n’ayme à faire. Ie ne laissay que ie sçache, aucun mouuement, que le deuoir requist en bon escient de moy. l’ay facilement oublié ceux, que l’ambition mesle au deuoir, et couure de son tiltre. Ce sont ceux, qui le plus souuent remplissent les yeux et les oreilles, et contentent les hommes. Non pas la chose, mais l’appa-