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CHAPITRE XVII.

étant ouverte en faveur d’Areténs, il nourrit curieusement cette mère ; et de cinq talents qu’il avait en ses biens, il en donna les deux et demi en mariage à une sienne fille unique, et deux et demi pour le mariage de la fille d’Eudamidas, desquelles il fit les noces en même jour.

Cet exemple est bien plein, si une condition en était à dire, qui est la multitude d’amis ; car cette parfaite amitié de quoi je parle est indivisible : chacun se donne si entier à son ami qu’il ne lui reste rien à départir ailleurs ; au rebours, il est marri qu’il ne soit double, triple ou quadruple, et qu’il n’ait plusieurs âmes et plusieurs volontés, pour les conférer toutes à ce sujet. Les amitiés communes, on les peut départir ; on peut aimer en celui-ci la beauté ; en cet autre, la facilité de ses mœurs ; en l’autre, la libéralité ; en celui-là, la paternité ; en cet autre, la fraternité ; ainsi du reste : mais cette amitié qui possède l’âme et la régente en toute souveraineté, il est impossible qu’elle soit double. Si deux en même temps demandaient à être secourus, auquel courriez-vous ? S’ils requéraient de vous des offices contraires, quel ordre y trouveriez-vous ? Si l’un commettait à votre silence chose qu’il fût utile à l’autre de savoir, comment vous en démêleriez-vous ? L’unique et principale amitié décout toutes autres obligations : le secret que j’ai juré ne déceler à un autre, je le puis sans parjure communiquer à celui qui n’est pas autre, c’est moi. C’est un assez grand miracle de se doubler ; et n’en connaissent pas la hauteur ceux qui parlent de se tripler. Rien n’est extrême qui a son pareil : et qui présupposera que de deux j’en aime autant l’un que l’autre, et qu’ils s’entr’aiment et m’aiment