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ESSAIS DE MONTAIGNE

autant que je les aime, il multiplie en confrérie la chose la plus une et unie, et de quoi une seule est encore la plus rare à trouver au monde. Le demeurant de cette histoire convient très-bien à ce que je disais : car Eudamidas donne pour grâce et pour faveur à ses amis de les employer à son besoin ; il les laisse héritiers de cette sienne libéralité, qui consiste à leur mettre en main les moyens de lui bien faire : et sans doute la force de l’amitié se montre bien plus richement en son fait qu’en celui d’Aretéus. Somme, ce sont effets inimaginables à qui n’en a goûté, et qui me font honorer à merveille la réponse de ce jeune soldat à Cyrus, s’enquérant à lui pour combien il voudrait donner un cheval par le moyen duquel il venait de gagner le prix de la course, et s’il le voudrait échanger à un royaume : « Non certes, Sire ; mais bien le laisserais-je volontiers pour en acquérir un ami, si je trouvais homme digne de telle alliance. » Il ne disait pas mal, « si je trouvais ; » car on trouve facilement des hommes propres à une superficielle accointance ; mais en celle-ci, en laquelle on négocie du fin fond de son courage, qui ne fait rien de reste, certes, il est besoin que tous les ressorts soient nets et sûrs parfaitement.

Aux confédérations qui ne tiennent que par un bout, on n’a à pourvoir qu’aux imperfections qui particulièrement intéressent ce bout-là. A la familiarité de la table j’associe le plaisant, non le prudent ; en la société du discours, la suffisance, voire sans la prud’hommie : pareillement ailleurs. Tout ainsi que cil qui fut rencontré à chevauchons sur un bâton, se jouant avec ses enfants, pria l’homme qui l’y surprit de n’en rien dire jusqu’à ce qu’il fût père lui-même ; estimant que la passion qui lui