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CHAPITRE XXI.

meurs, et en laquelle je suis né ; et pourtant, me remettant toujours à l’autorité de leur censure, qui peut tout sur moi, je me mêle ainsi témérairement à toute sorte de propos, comme ici.

Je ne sais si je me trompe ; mais puisque, par une faveur particulière de la bonté divine, certaine façon de prière nous a été prescrite et dictée mot à mot par la bouche de Dieu, il m’a toujours semblé que nous^en devions avoir l’usage plus ordinaire que nous n’avons ; et, si j’en étais cru, à l’entrée et à l’issue de nos tables, à notre lever et coucher, et à toutes actions particulières auxquelles on a accoutumé de mêler des prières, je voudrais que ce fût le patenôtre que les chrétiens y employassent, sinon seulement, au moins toujours. L’Église peut étendre et diversifier les prières, selon le besoin de notre instruction ; car je sais bien que c’est toujours même substance et même chose ; mais on devait donner à celle-là ce privilége, que le peuple l’eût continuellement en bouche ; car il est certain qu’elle dit tout ce qu’il faut, et qu’elle est très-propre à toutes occasions. C’est l’unique prière de quoi je me sers partout, et la répète au lieu d’en changer ; d’où il advient que je n’en ai aussi bien en mémoire que celle-là.

J’avais présentement dans la pensée d’où nous venait cette erreur, de recourir à Dieu en tous nos desseins et entreprises, et l’appeler à toute sorte de besoin, et en quelque lieu que notre faiblesse veut de l’aide, sans considérer si l’occasion est juste ou injuste, et décrier son nom et sa puissance en quelque état et action que nous soyons, pour vicieuse qu’elle soit. Il est bien notre seul et unique protecteur, et peut toutes choses