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CHAPITRE XXII.

d’actions si apparente, soudaine et continuelle, tout le cours de sa vie, qu’il s’est fait lâcher entier et indécis aux plus hardis juges. Je crois, des hommes, plus malaisément la constance que toute autre chose, et rien plus aisément que l’inconstance. Qui en jugerait en détail et distinctement, pièce à pièce, rencontrerait plus souvent à dire vrai. En toute l’ancienneté, il est malaisé de choisir une douzaine d’hommes qui aient dressé leur vie à un certain et assuré train, qui est le principal but de la sagesse ; car, pour la comprendre toute en un mot, dit un ancien, et pour embrasser en une toutes les règles de notre vie : « C’est vouloir, et ne vouloir pas toujours même chose : je ne daignerais, dit-il, ajouter, pourvu que la volonté soit juste ; car, si elle n’est juste, il est impossible qu’elle soit toujours une. » De vrai, j’ai autrefois appris que le vice n’est que déréglement et faute de mesure ; et par conséquent il est impossible d’y attacher la constance. C’est un mot de Démosthène, dit-on, « que le commencement de toute vertu, c’est consultation et délibération ; et la fin et perfection, constance. » Si, par discours, nous entreprenions certaine voie, nous la prendrions la plus belle ; mais nul n’y a pensé.

Notre façon ordinaire, c’est d’aller après les inclinations de notre appétit, à gaucho, à dextre, contre mont, contre bas, selon que le vent des occasions nous emporte. Nous ne pensons ce que nous voulons qu’à l’instant que nous le voulons, et changeons comme cet animal qui prend la couleur du lieu où on le couche. Ce que nous avons à cette heure proposé, nous le changeons tantôt, et tantôt encore retournons sur nos pas : ce n’est que branle et inconstance. Nous n’allons pas,