Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
226
ESSAIS DE MONTAIGNE

révérence. Nulle vieillesse ne peut être si caduque et si rance à un personnage qui a passé en honneur son âge, qu’elle ne soit vénérable, et notamment à ses enfants, desquels il faut avoir réglé l’âme à leur devoir par raison, non par nécessite et par besoin, ni par rudesse et par force.

J’accuse toute violence en l’éducation d’une âme tendre qu’on dresse pour l’honneur et la liberté. Il y a je ne sais quoi de servile en la rigueur et en la contrainte, et tiens que ce qui ne se peut faire par la raison et par prudence et adresse ne se fait jamais par la force. On m’a ainsi élevé : ils disent qu’en tout mon premier âge je n’ai tâté des verges qu’à deux coups et bien mollement. J’ai dû la pareille aux enfants que j’ai eus. Ils me meurent tous en nourrice ; mais Léonore, une seule fille qui est échappée à cette infortune, a atteint six ans et plus sans qu’on ait employé à sa conduite et pour le châtiment de ses fautes puériles (l’indulgence de sa mère s’y appliquant aisément) autre chose que paroles et bien douces. Et quand mon désir y serait frustré, il est assez d’autres causes auxquelles nous prendre, sans entrer en reproche avec ma discipline, que je sais être juste et naturelle. J’eusse été beaucoup plus religieux encore en cela envers des mâles, moins nés à servir et de condition plus libre : j’eusse aimé à leur grossir le cœur d’ingénuité et de franchise. Je n’ai vu autre effet aux verges, sinon de rendre les âmes plus lâches ou plus malicieusement opiniâtres.

Voulons-nous être aimés de nos enfants ? leur voulons-nous ôter l’occasion de souhaiter notre mort, (combien que nulle occasion d’un si horrible souhait ne peut être