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CHAPITRE XXVII.

ni juste ni excusable ?) accommodons leur vie raisonnablement de ce qui est en notre puissance. Pour cela, il ne nous faudrait pas marier si jeunes, que notre âge vienne quasi à se confondre avec le leur ; car cet inconvénient nous jette à plusieurs grandes difficultés ; je dis spécialement à la noblesse, qui est d’une condition oisive, et qui ne vit, comme on dit, que de ses rentes ; car ailleurs, où la vie est questuaire[1], la pluralité et compagnie des enfants, c’est un agencement de ménage, ce sont autant de nouveaux outils et instruments à s’enrichir.

Je me mariai à trente-trois ans, et loue l’opinion de trente-cinq, qu’on dit être d’Aristote. Platon ne veut pas qu’on se marie avant les trente. Thalès y donna les plus vraies bornes, qui, jeune, répondit à sa mère, le pressant de se marier, « qu’il n’était pas temps ; » et, devenu sur l’âge, « qu’il n’était plus temps. » Il faut refuser l’opportunité à toute action importune. En certaine contrée des Indes espagnoles, on ne permettait aux hommes de se marier qu’après quarante ans, et si le permettait-on aux filles à dix ans. Un gentilhomme qui a trente-cinq ans, il n’est pas temps qu’il fasse place à son fils qui en a vingt ; il est lui-même au train de paraître et aux voyages des guerres, et en la cour de son prince ; il a besoin de ses pièces, et en doit certainement faire part, mais telle part qu’il ne s’oublie pas pour autrui. Et à celui-là peut servir justement cette réponse que les pères ont ordinairement en la bouche : « Je ne me veux pas dépouiller devant que de m’aller coucher. »

  1. De quæstuarius, mercenaire, qui travaille pour vivre.