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CHAPITRE XXVII.

maison, à leur aise, et déchargés des occupations publiques et guerrières, qui n’étaient plus pour leurs épaules. J’ai autrefois été privé, en la maison d’un gentilhomme veuf et fort vieux, d’une vieillesse toutefois assez verte ; celui-ci avait plusieurs filles à marier, et un fils déjà en âge de paraître ; cela chargeait sa maison de plusieurs dépenses et visites étrangères, à quoi il prenait peu de plaisir, non-seulement pour le soin de l’épargne, mais encore plus pour avoir, à cause de l’âge, pris une forme de vie fort éloignée de la nôtre. Je lui dis un jour, un peu hardiment, comme j’ai accoutumé, qu’il lui siérait mieux de nous faire place, et de laisser à son fils sa maison principale (car il n’avait que celle-là de bien logée et accommodée), et se retirer en une sienne terre voisine, où personne n’apporterait incommodité à son repos, puisqu’il ne pouvait autrement éviter notre importunité, vû la condition de ses enfants. Il m’en crut depuis, et s’en trouva bien.

Ce n’est pas à dire qu’on leur donne, par telle voie, obligation de laquelle on ne se puisse plus dédire. Je leur laisserais, moi qui suis à même de jouer ce rôle, la jouissance de ma maison et de mes biens ; mais avec liberté de m’en repentir, s’ils m’en donnaient occasion. Je leur en laisserais l’usage, parce qu’il ne me serait plus commode ; et de l’autorité des affaires en gros, je m’en réserverais autant qu’il me plairait ; ayant toujours jugé que ce doit être un grand contentement à un père vieux, de mettre lui-même ses enfants en train du gouvernement de ses affaires, et de pouvoir, pendant sa vie, contrôler leurs déportements, leur fournissant instruction et avis suivant l’expérience qu’il en a, et d’acheminer