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ESSAIS DE MONTAIGNE.

bigue[1] de l’un pour l’autre ? et si, nous y renonçons souvent de pur mépris : car quelle envie nous attire au blasphémer, sinon à l’aventure le goût même de l’offense ?

Ce que dit Platon, qu’il est peu d’hommes si fermes en l’athéisme qu’un danger pressant ne ramène à la reconnaissance de la divine puissance, ce rôle ne touche point un vrai chrétien ; c’est à faire aux religions mortelles et humaines d’être reçues par une humaine conduite. Quelle foi doit-ce être, que la lâcheté et la faiblesse de cœur plantent en nous et établissent ? plaisante foi, qui ne croit Ce qu’elle croit que pour n’avoir pas le courage de le décroire ! Une vicieuse passion, comme celle de l’inconstance et de l’étonnement, peut-elle faire en notre âme aucune production réglée ? Ils établissent, dit-il, par la raison de leur jugement, que ce qui se récite des enfers et des peines future est feint : mais l’occasion de l’expérimenter s’offrant, lorsque la vieillesse ou les maladies les approchent de leur mort, la terreur d’icelle les remplit d’une nouvelle créance, par l’horreur de leur condition à venir. Et, parce que telles impressions rendent les courages craintifs, il défend, en ses lois, toute instruction de telles menaces, et la persuasion que des dieux il puisse venir à l’homme aucun mal, sinon pour son plus grand bien, quand il y échoit, et pour un médicinal effet. Ils récitent de Bion, qu’infecté des athéismes de Théodorus, il avait été longtemps se moquant des hommes religieux, mais, la mort le surprenant, qu’il se rendit aux plus extrêmes superstitions ; comme si les dieux

  1. On lit, dans l’édition de 1802, entrât en troc, qui veut dire la même chose. Bigner, pour troquer, échanger, est resté longtemps dans le Dictionnaire de l’Académie.