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ESSAIS DE MONTAIGNE.

non pas de nos considérations, de nos raisons et passions, mais d’une étreinte divine et supernaturelle, n’ayant qu’une forme, un visage et un lustre, qui est l’autorité de Dieu et sa grâce. Or, notre cœur et notre âme étant régie et commandée par la foi, c’est raison qu’elle tire au service de son dessein toutes nos autres pièces, selon leur portée. Aussi n’est-il pas croyable que toute cette machine n’ait quelques marques empreintes de la main de ce grand architecte, et qu’il n’y ait quelque image aux choses du monde rapportant aucunenent à l’ouvrier qui les a bâties et formées. Il a laissé en ces hauts ouvrages le caractère de sa divinité, et ne tient qu’à notre imbécilité que nous ne le puissions découvrir : c’est ce qu’il nous dit lui-même, « que ses opérations invisibles il nous les manifeste par les visibles. »

Sebond s’est travaillé à cette digne étude, et nous montre comment il n’est pièce du monde qui démente son facteur[1].

Ce serait faire tort à la bonté divine, si l’univers ne consentait à notre créance : le ciel la terre, les éléments, notre corps et notre âme, toutes choses y conspirent. Il n’est que de trouver le moyen de s’en servir : elles nous instruisent, si nous sommes capables d’entendre ; car ce monde est un temple très-saint, dans lequel l’homme est introduit pour y contempler des statues, non ouvrées de mortelle main ; mais celles que la divine pensée a fait

  1. « Tout ainsi que, par ce peu de lumière que nous avons la nuit, nous imaginons la lumière du soleil qui est éloigné de nous ; de même, par l’astre du monde que nous connaissons, nous argumentons l’être de Dieu qui nous est caché, etc. » R. Sebond, Théolog. naturelle, c. 24, traduction de Montaigne.