Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
78
ESSAIS DE MONTAIGNE

par clémence à se faire aimer de ses ennemis même, se contentant, aux conjurations qui lui étaient découvertes, de déclarer simplement qu’il en était averti ; cela fait, il prit une très-noble résolution d’attendre sans effroi et sans sollicitude ce qui lui en pourrait advenir, s’abandonnant et s’en remettant à la garde des dieux et de la fortune ; car certainement c’est l’état où il était quand il fut tué.

Un étranger ayant dit et publié partout qu’il pourrait instruire Dionysius, tyran de Syracuse, d’un moyen de sentir et découvrir en toute certitude les partis que ses sujets machineraient contre lui, s’il lui voulait donner une bonne pièce d’argent, Dionysius, en étant averti, le fit appeler à soi pour s’éclaircir d’un art si nécessaire à sa conservation. Cet étranger lui dit qu’il n’y avait pas d’autre art, sinon qu’il lui fit délivrer un talent, et se vantât d’avoir appris de lui un singulier secret. Dionysius trouva cette invention bonne et lui fit compter six cents écus. Il n’était pas vraisemblable qu’il eût donné si grande somme à un homme inconnu, qu’en récompense d’un trèsutile apprentissage ; et servait cette réputation à teiîir ses ennemis en crainte. Pourtant, les princes sagement publient les avis qu’ils reçoivent des menées qu’on dresse contre leur vie, pour faire croire qu’ils sont bien avertis et qu’il ne se peut rien entreprendre de quoi ils ne sentent le vent. Le duc d’Athènes fit plusieurs sottises en l’établissement de sa fraîche tyrannie sur Florence ; mais celle-ci, la plus notable, qu’ayant reçu le premier avis des monopoles[1] que ce peuple dressait contre lui, par Mat-

  1. Monopole, pour conjuration, conspiration.