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CHAPITRE XIII.

teo dit Morozo, complice d’icelles, il le fit mourir pour supprimer cet avertissement, et ne faire sentir qu’aucun en la ville s’ennuyât de sa domination.

Il me souvient avoir lu autrefois l’histoire de quelque Romain, personnage de dignité, lequel, fuyant la tyrannie du triumvirat, avait échappé mille fois des mains de ceux qui le poursuivaient, par la subtilité de ses inventions. Il advint un jour qu’une troupe de gens de cheval, qui avait charge de le prendre, passa tout joignant un hallier où il s’était tapi, et faillit de le découvrir ; mais lui, sur ce point-là, considérant la peine et les difficultés auxquelles il avait déjà si longtemps duré, pour se sauver des continuelles et curieuses recherches qu’on faisait de lui partout, le peu de plaisir qu’il pouvait espérer d’une telle vie, et combien il lui valait mieux passer une fois le pas que demeurer toujours en cette transe, lui-même les rappela et leur trahit sa cachette, s’abandonnant volontairement à leur cruauté, pour ôter eux et lui d’une plus longue peine. D’appeler les mains ennemies, c’est un conseil un peu gaillard ; si crois-je qu’encore vaudrait-il mieux le prendre que de demeurer en la fièvre continuelle d’un accident qui n’a point de remède. Mais puisque les provisions qu’on y peut apporter sont pleines d’inquiétude et d’incertitude, il vaut mieux, d’une belle assurance, se préparer à tout ce qui en pourra advenir, et tirer quelque consolation de ce qu’on n’est pas assuré qu’il advienne.