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ESSAIS DE MONTAIGNE

CHAPITRE XIV.

du pédantisme.


Je me suis souvent dépité, en mon enfance, de voir, aux comédies italiennes, toujours un pédant pour badin, et le surnom de magister n’avoir guères plus honorable signification parmi nous ; car, leur étant donné en gouvernement, que pouvais-je moins faire que d’être jaloux de leur réputation ? Je cherchais bien de les excuser par la disconvenance naturelle qu’il y a entre le vulgaire et les personnes rares et excellentes en jugement et en savoir, d’autant qu’ils vont un train entièrement contraire les uns des autres ; mais en ceci perdais-je mon latin, que les plus galants hommes c’étaient ceux qui les avaient le plus à mépris, témoin notre bon du Bellay :

Mais je hais par sus tout un savoir pédantesque ;

et est cette coutume ancienne, car Plutarque dit que grec et écolier étaient mots de reproche entre les Romains, et de mépris. Depuis, avec l’âge, j’ai trouvé qu’on avait une grandissime raison. Mais d’où il puisse advenir qu’une âme riche de la connaissance de tant de choses n’en devienne plus vive et plus éveillée, et qu’un esprit grossier et vulgaire puisse loger en soi, sans s’amender, les discours et les jugements des plus exellents esprits que le monde ait porté, j’en suis encore en doute. A recevoir tant de cervelles étrangères, et si fortes et si grandes, il est nécessaire (me disait une fille, la pre-