Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
9
DE M. DE MONTESQUIEU.


et choisit pour cela la nation la plus fameuse de l’univers, les Romains. S’il est si difficile de découvrir et de suivre l’effet des passions dans un seul homme, combien l’est-il encore davantage de déterminer ce qui résulte du concours et de l’opposition des passions de tout un peuple, surtout si, comme il est nécessaire, l’on considère la réaction des autres peuples qui l’environnent ! L’esprit, à quelque degré qu’il soit, ne suffit point pour cela ; le raisonnement y a continuellement besoin de l’expérience ; il faut une connaissance parfaite des faits, ce savoir laborieux, si rarement joint à la subtilité de l’esprit.

Pour un écrivain qui ne s’attacherait qu’aux faits les plus singuliers, ou qui contrastent le plus avec les autres ; qui se permettrait d’en faire un choix, de les joindre, de les séparer à son gré ; enfin de sacrifier au frivole avantage de surprendre ou d’amuser, la dignité et la vérité de l’histoire ; pour un tel écrivain il n’y a point de système qui ne soit possible : ou plutôt il n’a qu’à imaginer son système et prendre dans l’histoire de quoi le soutenir. M. de Montesquieu ctait bien éloigné de ce genre de roman : une étude suivie et complète de l’histoire l’avait conduit à ses réflexions ; ce n’était que de la suite la plus exacte des événements qu’il tirait les conséquences les plus justes. Son ouvrage, si rempli de raisonnements profonds, est en même temps un abrégé de l’histoire romaine capable de réparer ce qui nous manque de Tacite. En transposant les temps de ces deux grands hommes, et les accidents arrivés à leurs ouvrages, je ne sais si Tacite nous aurait aussi bien dédommagé de ce qui nous manquerait de Montesquieu.

M. de Montesquieu, dans ses Lettres persanes, peignit l’homme dans sa maison ou dans ses voyages. Dans celui sur les Causes de la grandeur et de la décadence de l’Empire romain, il fit voir les hommes réunis en sociétés ; comment ces sociétés se forment, s’élèvent et se détruisent. Ces deux ouvrages le conduisaient à un troisième, le plus important de tous ceux qu’un philosophe peut entreprendre, à son traité de l’Esprit