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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/357

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LETTRE CVI.


ignoré les arts. Je ne te nie pas que des peuples barbares n’aient pu, comme des torrents impétueux, se répandre sur la terre, et couvrir de leurs armées féroces les royaumes les plus policés ; [1] mais, prends-y garde ; ils ont appris les arts, ou les ont fait exercer aux peuples vaincus ; sans cela, leur puissance aurait passé comme le bruit du tonnerre et des tempêtes.

Tu crains, dis-tu, que l’on n’invente quelque manière de destruction plus cruelle que celle qui est en usage. Non : si une fatale invention venait à se découvrir, elle serait bientôt prohibée par le droit des gens ; et le consentement unanime des nations ensevelirait cette découverte. Il n’est point de l’intérêt des princes de faire des conquêtes par de pareilles voies ; ils doivent chercher des sujets, et non pas des terres.

Tu te plains de l’invention de la poudre et des bombes ; tu trouves étrange qu’il n’y ait plus de place imprenable, c’est-à-dire que tu trouves étrange que les guerres soient aujourd’hui terminées plus tôt qu’elles ne l’étaient autrefois.

Tu dois avoir remarqué, en lisant les histoires, que, depuis l’invention de la poudre, les batailles sont beaucoup moins sanglantes qu’elles ne l’étaient, parce qu’il n’y a presque plus de mêlée.

Et, quand il se serait trouvé, quelque cas particulier où un art aurait été préjudiciable, doit-on, pour cela, le rejeter ? Penses-tu, Rhédi, que la religion que notre saint prophète a apportée du ciel soit pernicieuse, parce qu’elle servira un jour à confondre les perfides chrétiens ?

Tu crois que les arts amollissent les peuples, et, par là, sont cause de la chute des empires. Tu parles de la ruine

  1. A. C. Les mieux policés.