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LE TEMPLE DE GNIDE.


Lesbos est le pays de la tendre Sapho :
Les murs de Mytilène ont été son berceau.
Cette fille immortelle, ainsi que son génie,
Se consume sans fin d’une flamme ennemie :
A soi-même odieuse, et pleurant sa beauté,
Elle cherche toujours son sexe qu’elle abhorre.
Comment d’un feu si vain est-on si tourmenté ?
Ah ! l’amour, disait-elle, est plus terrible encore.
Plus cruel dans ses jeux, que l’amour irrité.

Je passai de Lesbos dans une île sauvage :
C’était Lemnos. Vénus n’y reçoit point de vœux :
On la rejette, on craint que son culte amoureux
Du farouche habitant n’énerve le courage.
Vénus punit souvent ce peuple audacieux ;
Mais il subit les maux sans expier l’outrage,
D’autant plus obstiné, qu’il est plus malheureux.

Loin de cette île impie, égaré sur les ondes,
Je cherchais un séjour favorisé des cieux,
Délos fixa longtemps mes courses vagabondes ;
Mais, soit que nous ayons quelques avis des dieux,
Soit qu’un instinct céleste éclaircisse à nos yeux
Du sort qui nous attend les ténèbres profondes,
Je me crus appelé vers des bords plus heureux.

Une nuit que j’étais dans ce repos paisible
Où l’esprit, par degrés, rendu comme impassible,
Semble se délivrer de ses liens secrets,
Il m’apparut en songe une jeune immortelle,
Moins belle que Vénus, mais brillante comme elle.
Un charme irrésistible animait tous ses traits :
Ce que j’aimais en eux, je n’aurais pu le dire ;
J’y trouvais ce qui pique, et non ce qu’on admire ;
Ils étaient ravissants, et n’étaient point parfaits ;
En anneaux ondoyants, sa blonde chevelure
Tombait sur son épaule et flottait au hasard :
Mais cette négligence était une parure ;