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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/27

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LIVRE XI, CHAP. VI.

Il faut même que les juges soient de là condition de l'accusé, ou ses pairs, pour qu’il ne puisse pas se mettre dans l’esprit qu’il soit tombé entre les mains de gens portés à lui faire violence.

Si la puissance législative laisse à l’exécutrice lé droit d’emprisonner des citoyens qui peuvent donner caution de leur conduite, il n’y a plus de liberté, à moins qu’ils ne soient arrêtés pour répondre, sans délai, à une accusation que la loi a rendue capitale ; auquel cas ils sont réellement libres, puisqu’ils ne sont soumis qu’à la puissance de la loi.

Mais, si la puissance législative se croyoit en danger par quelque conjuration secrète contre l’État, ou quelque intelligence avec les ennemis du dehors, elle pourroit, pour un temps court et limité, permettre à la puissance exécutrice de faire arrêter les citoyens suspects [1], qui ne perdroient leur liberté pour un temps que pour la conserver pour toujours.

Et c’est le seul moyen conforme à la raison de suppléer à la tyrannique magistrature des Éphores et aux Inquisiteurs d’État de Venise, qui sont aussi despotiques.

Comme, dans un État libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudroit que le peuple en corps eût la puissance, législative. Mais comme cela est impossible dans les grands États, et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même.

L’on connoît beaucoup mieux les besoins de sa ville que ceux des autres villes ; et on juge mieux de la capa-

  1. Suspension de l'habeas corpus, V. Inf., XII, XIX.