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LETTRE AU P. B. J.


penserez, sans doute, qu’on ne peut jamais entreprendre de venger parfaitement et totalement la Divinité, mais qu’il est des circonstances où il convient de punir les entreprises sacrilèges contre Dieu, parce que cela sert à réparer son culte suprême, et à intimider les méchants. Avec le principe de l’auteur, comment justifieroit-on tant d’ordonnances des princes et des magistrats, qui décernent des peines contre les blasphémateurs et les blasphèmes [1] ?

Dans l'Esprit des Lois, on rencontre divers morceaux qui prouvent que l’auteur est versé dans l’étude de la physique et de l’anatomie : connoissances très-utiles, quand on les emploie à propos. Mais je ne vois pas qu’il fallût les mettre en œuvre pour excuser le suicide, si commun, dit-on, parmi les Anglois ; car c’est l’excuser que de le regarder comme une maladie causée par la nature du climat, « Cette action, dit l’auteur (Livre XIV, chapitre XII), tient à l’état physique de la machine... et l’on ne peut pas plus punir l’homicide de soi-même en Angleterre, qu’on punit les effets de la démence. » Comment nous persuadera-t-on que les Anglois, qui se tuent de sang-froid, n’ont point assez de liberté pour continuer de vivre ? Le climat et la constitution des corps furent les mêmes en Angleterre, il y a trois ou quatre cents ans : alors la pratique de suicide s’y remarquoit-elle plus qu’ailleurs ? N’est-ce pas une sorte de mode qui s’y est établie, ou par vanité, comme on dit qu’elle règne chez les Japonois, ou

  1. Qu’est-ce qui décide qu’une entreprise est un sacrilège contre Dieu ? Des hommes , qui se mettent à la place de Dieu, et qui se chargent de le venger : c’est une grande fatuité. Voit-on que le monde soit devenu plus pervers depuis qu’on s’en remet à la Divinité du soin de punir les blasphèmes ?