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LETTRE AU P. B. J.


celui de 1672. [1] On ne spécifie point, il est vrai, dans ce dénombrement de 1689 ou 1690, le nombre des hommes et des femmes ; mais on n’a aucune raison de croire que l’excès ne fût pas en grande partie sur le compte des hommes. Ainsi la preuve tirée de ce dénombrement de 1672 est très-équivoque ; elle est de plus très-insuffisante pour le reste de l’Asie. Car quel argument est celui-ci : il y avoit à Méaco, en 1672, beaucoup plus de femmes que d’hommes ; donc en Asie il naît beaucoup plus de filles que de garçons ? Et moi je produis, d’après l’auteur même de l'Esprit des Lois, le pays des Lamas, qui est le Thibet, où il naît beaucoup plus de garçons que de filles, en sorte même que chez ces peuples une femme épouse plusieurs maris.

Mais, dira-t-on, cette pratique des Lamas prouve donc que « la loi de la polygamie est une affaire de calcul » ? Point du tout, répondrai-je, puisqu’il est certain que les Tartares leurs voisins, qui sont dans le même cas, c’est-à-dire qui ont parmi leurs enfants beaucoup plus de garçons que de filles, ne donnent pourtant jamais plusieurs maris à une seule femme. Voyez Description de la Chine, tome IV, p. 461.

Mais, continue-t-on, il est du moins certain que l’usage d’épouser plusieurs femmes a quelque rapport au climat ; ainsi l'on ne peut nier que « la loi de la polygamie ne soit une affaire de calcul ». C’est à peu près tout le fond de ce chapitre IV, livre XVI, de l’Esprit des Lois. Je réponds qu’en admettant même la première proposition qui n’est pas incontestable, je nierois bien la conséquence. En effet, de

  1. Celui de 1672 étoit de 405,643 personnes. Le dernier, dont parle Kæmpfer, étoit de 529,726. Voyez Kæmpfer, tome I, p. 192, et tome II, p. 198. (Note du Journal de Trévoux.)