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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t6.djvu/307

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DE L’ESPRIT DES LOIS.


procèdent très-sensément, vu que nous sommes raisonnables avant que d’être chrétiens, et que nous ne sommes chrétiens que parce que nous sommes raisonnables.

Les critiques auroient souhaité qu’au lieu de chercher l’origine des devoirs de l’homme dans la religion naturelle, où elle est, M. de M... l’eût trouvée dans la religion révélée, où elle n’est point. Ils auroient souhaité que, dans un livre où il s’agit de mettre au grand jour des principes faits pour tous les hommes, il eût parti de principes révélés à peu de personnes, et que, pour faire recevoir de vérités claires, il eût débuté par des vérités obscures. Mais il lui étoit très-permis dans un ouvrage de politique de mettre à l’écart la grâce, le péché originel et cent autres questions dont le public est depuis longtemps ennuyé, et depuis longtemps a raison de l’être.

Ils se récrient sur ce qu’il a supposé un homme comme tombé des nues, laissé à lui-même et sans éducation, avant l’établissement des sociétés : « Recourir à de pareilles chimères pour y trouver l’origine de l'Esprit des Lois, c’est ressembler, à leur avis, à un homme qui fuiroit le soleil, et s’enfonceroit dans des ténèbres bien épaisses pour voir plus clair. »

Il s’agissoit d’examiner s’il y a des rapports antérieurs à l’établissement des sociétés, s’il y a des lois dans la nature indépendantes des conventions, s’il y a dans le fond des objets des relations éternelles et invariables : il s’agissoit de renverser le système d’Hobbes qui ramène tout au conventionnel, et d’élever l’édifice du droit naturel.

Cela posé, M. de M... ne pouvoit-il pas imaginer un être qui ne tint point à la société, qui, usant de sa raison et se repliant sur lui-même, considérât son état, réfléchit sur ses devoirs, se rendit compte de ses sentiments ? N'est-