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PENSÉES DIVERSES.

à tenir toute ma fortune immédiatement de la main des dieux.

N…, qui avait de certaines fins, me fit entendre qu’on me donnerait une pension ; je dis que, n’ayant point fait de bassesses, je n’avais pas besoin d’être consolé par des grâces.

Je suis un bon citoyen ; mais, dans quelque pays que je fusse né, je l’aurais été tout de même. Je suis un bon citoyen, parce que j’ai toujours été content de l’état où je suis, que j’ai toujours approuvé ma fortune, que je n’ai jamais rougi d’elle, ni envié celle des autres. Je suis un bon citoyen, parce que j’aime le gouvernement où je suis né, sans le craindre, et que je n’en attends d’autre faveur que ce bien inestimable que je partage avec tous mes compatriotes ; et je rends grâces au ciel de ce qu’ayant mis en moi de la médiocrité en tout, il a bien voulu mettre un peu de modération dans mon âme.

S’il m’est permis de prédire la fortune de mon ouvrage [1], il sera plus approuvé que lu : de pareilles lectures peuvent être un plaisir, elles ne sont jamais un amusement. J’avais conçu le dessein de donner plus d’étendue et de profondeur à quelques endroits de mon Esprit ; j’en suis devenu incapable : mes lectures m’ont affaibli les yeux ; et il me semble que ce qu’il me reste encore de lumière, n’est que l’aurore du jour où ils se fermeront pour jamais.

Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je

  1. L’Esprit des Lois.