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LETTRES FAMILIÈRES.


car depuis que vous êtes parti, il me semble que je n’ai plus rien à faire ici. Vous êtes un imbécile de n’avoir point été voir l’archevêque [1] puisque vous vous êtes arrêté quelques jours à Tours. C’étoit, peut-être, la seule personne que vous aviez à voir ; et il vous auroit très-bien reçu : vous auriez dû faire un demi-tour à gauche à Verret [2] ; M. et madame d’Aiguillon vous en auroient loué. Cela valoit bien mieux que votre abbaye de Marmontier, où vous n’aurez vu que des choses gothiques, et de vieilles paperasses, qui vous gâtent les yeux. Votre Irlandois de Nantes m’a beaucoup diverti. Un banquier a raison de se figurer qu’un homme qui s’adresse à lui pour chercher des Académies, parle de celles de jeu, et non d’Académies littéraires, où il n’y a rien à gagner pour lui. Le curé voit en songe le clocher, et sa servante y voit la culotte. Je savois bien que vous aviez fait vos preuves de coureur, mais je n’aurois pas cru que vous pussiez faire celle de courrier. M. Stuart dit que vous l’avez mis sur les dents : quand vous vous embarquerez une autre fois, embarquez votre chaise avec vous, car on ne remonte pas les rivières comme on les descend. J’espère que vous ne vous presserez pas de partir pour l’Angleterre ; il seroit bien mal à vous de ne pas attendre quelqu’un qui fait cent cinquante lieues pour vous aller trouver. Je compte d’être à Paris vers le dix-sept ; vous avez le temps, comme vous voyez, de vous transporter dans la rue des Rosiers ; car il ne faut pas que vous vous éloigniez trop de moi. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.


De Bordeaux, le 2 juillet 1749.
  1. M. de Rastignac (né en 1683, mort au chateau de Véretz, le 3 août 1750), un des plus illustres prélats de France, de son temps. (GUASCO.)
  2. Veretz, près de Tours.
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