Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t7.djvu/466

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
448
LETTRES FAMILIÈRES.





LETTRE CLIV.


A L’ABBÉ COMTE DE GUASCO.


Que voulez-vous que je vous dise, mon cher ami ; je ne veux pas vous porter à la vengeance, mais vous êtes dans le cas de la défense naturelle. Je suis véritablement indigné contre le trait malhonnête de cette femme [1], mais rien ne m’étonne ; si vous saviez les tours que j’ai essuyés moi-même plus d’une fois, vous seriez moins surpris, et peut-être moins piqué. Votre réputation est faite, les honnêtes gens ne vous la contesteront jamais ; tout le monde n’a pas fait ses preuves comme vous ; vous ne devez votre place à l’Académie qu’à des triomphes réitérés [2]. Une femme capricieuse ne sauroit vous ravir tout ce que les gens de mérite de Paris, tout ce que les autres nations vous accordent. Ne vous faites point des chimères ; vos observations sur la prétendue différence du traitement sont peut-être l’effet de votre découragement. Que vous soyez encore ou ne soyez plus des nôtres, les honnêtes gens, les gens de lettres, sont de toutes les nations, et tous les honnêtes gens de toutes les nations sont leurs compatriotes. Vous étiez bien reçu et aimé de nous lorsque nous étions en guerre contre votre pays ; pourquoi fausserions-nous la paix à votre égard ? Allez votre train : vous nous connoissez, et savez qu’il y a souvent plus d’étourderie ou de précipitation de jugement

  1. Mme Geoffrin.
  2. Après avoir remporté le prix trois ans de suite, il obtint avec unanimité des voix la place d’un des quatre honoraires étrangers, qui vaquoit par la mort de M. le marquis Capponi, fourrier-major du pape. (GUASCO.)