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VOYAGE


entre eux ; ses nymphes affectent une rigueur dont nous triompherons avec les traits de l’Amour. Tâchons de les surprendre, leurs armes pendent toujours aux arbres qui entourent la fontaine de Diane : qu’Amour et Mercure nous favorisent quand elles entreront dans le bain. Leurs carquois sont à nous. »

Les Faunes, sans craindre le sort d’Actéon, ne tardèrent pas à tenter la capture ; ils approchent de la fontaine ; les nymphes crient, mais les carquois sont enlevés ; la vanité, l’avarice et tous les vices, tour à tour, se rendirent maîtres de ces armes, dès que les Amours s’en furent dessaisis. Ce sont ces traits égarés qui blessent la plupart des cœurs que vous croyez soumis à Vénus ; abandonnez, Diphile, cette sacrilége erreur. Quand on est ainsi blessé, on n’a de l’amour que ce qu’il en faut pour croire qu’on aime.

Que je plains des cœurs sensibles sans l’aveu de l’Amour ! m’écriai-je. Que d’encens je dois à ses autels, puisque je ne saurais douter que mon cœur ne lui doive tous ses feux.

Dès que je sus me connaître, il m’inspira que j’étais destiné à vivre sous ses lois ; je cherchais tous les jours à me rendre, j’attaquais pour me laisser vaincre ; je jurais que j’aimais ; mais l’inconstance venait bientôt m’apprendre que je faisais des faux serments.

Sont-ce là les plaisirs de l’Amour ? disais-je sans cesse. J’aime, au moins je crois aimer, et je ne connais point les douceurs qu’il promet aux amants. Non, non, ses promesses sont vaines, et je veux abjurer son culte. Enfin, las de changer et de tromper des volages, je cours au temple de l’Amour.

Insensé, je demandai à sortir de son empire, et je ne l’avais jamais connu.