Page:Montesquieu - Deux opuscules, éd. Montesquieu, 1891.djvu/49

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servi par des défaites qu’il n’auroit fait par des victoires, &, au lieu de le rendre le seul roi de l’Europe, il le favorisa plus en le rendant le plus puissant de tous[1].

Mais quand il auroit gagné la fameuse Bataille où il reçut le premier échec, bien loin que l’ouvrage eut été achevé, il l’auroit à peine commencé ; il auroit fallu étendre davantage ses forces & ses frontières. L’Allemagne, qui n’entroit presque dans la guerre que par la vente de ses Soldats, l’auroit faite de son chef ; le Nord se seroit élevé ; toutes les Puissances neutres se seroient déclarées ; & ses Alliés auroient changé d’intérêts.

Sa Nation qui dans les païs étrangers n’est jamais touchée que de ce qu’elle a quitté ; qui, en partant de chez elle, regarde la gloire comme le souverain— bien, &, dans les lieux éloignés, comme un obstacle à son retour, qui y révolte par ses bonnes qualités mêmes, parce qu’elle y joint toujours du mépris ; qui peut suporter les périls & les blessures & non pas la perte de ses plaisirs ; qui sait mieux se procurer des succès qu’en profiter, &, dans une défaite, ne perd pas mais abandonne ; qui fait toujours la moitié des choses admirablement bien & quelquefois très-mal l’autre ; qui n’aime rien tant que sa gayeté & oublie la perte d’une Bataille lorsqu’elle a chanté le Général, n’auroit jamais été jusqu’au bout d’une pareille

  1. V. Esprit des Lois. l. IX, ch. vii.