Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/303

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dans les limites naturelles à son gouvernement. La prudence veut qu’elle s’arrête, sitôt qu’elle passe ces limites.

Il faut, dans cette sorte de conquête, laisser les choses comme on les a trouvées ; les mêmes tribunaux, les mêmes loix, les mêmes coutumes, les mêmes privileges. Rien ne doit être changé que l’armée & le nom du souverain.

Lorsque la monarchie a étendu les limites par la conquête de quelques provinces voisines, il faut qu’elle les traite avec une grande douceur.

Dans une monarchie qui a travaillé long-temps à conquérir, les provinces de son ancien domaine seront ordinairement très-foulées. Elles ont à souffrir les nouveaux abus & les anciens ; & souvent une vaste capitale, qui engloutit tout, les a dépeuplées. Or si, après avoir conquis autour de ce domaine, on traitoit les peuples vaincus comme on fait les anciens sujets, l’état seroit perdu : ce que les provinces conquises enverroient de tributs à la capitale ne leur reviendroit plus ; les frontieres seroient ruinées, & par conséquent plus foibles ; les peuples en seroient mal affectionnés ; la subsistance des armées, qui doivent y rester & agir, seroit plus précaire.

Tel est l’état nécessaire d’une monarchie conquérante ; un luxe affreux dans la capitale, la misere dans les provinces qui s’en éloignent, l’abondance aux extrémités. Il en est comme de notre planette : le feu est au centre ; la verdure à la surface ; une terre aride, froide & stérile, entre les deux.


CHAPITRE X.

D’une monarchie qui conquiert une autre monarchie.


QUELQUEFOIS une monarchie en conquiert une autre. Plus celle-ci sera petite, mieux on la contiendra par des forteresses ; plus elle sera grande, mieux on la conservera par des colonies.