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vivre d’un commerce qu’ils conserveroient plus sûrement lorsqu’il seroit moins avantageux.

On a vu par-tout la violence & la vexation donner naissance au commerce d’économie, lorsque les hommes sont contraints de se réfugier dans les marais, dans les isles, les bas fonds de la mer, & ses écueils même. C’est ainsi que Tyr, Venise & les villes de Hollande furent fondées ; les fugitifs y trouverent leur sûreté. Il fallut subsister ; ils tirerent leur subsistance de tout l’univers.



CHAPITRE VI.

Quelques effets d’une grande navigation.


IL arrive quelquefois qu’une nation qui fait le commerce d’économie, ayant besoin d’une marchandise d’un pays qui lui serve de fonds pour se procurer les marchandises d’un autre, se contente de gagner très-peu, & quelquefois rien, sur les unes ; dans l’espérance ou la certitude de gagner beaucoup sur les autres. Ainsi, lorsque la Hollande faisoit presque seule le commerce du midi au nord de l’Europe, les vins de France, qu’elle portoit au nord, ne lui servoient, en quelque maniere, que de fonds pour faire son commerce dans le nord.

On sçait que souvent, en Hollande, de certains genres de marchandise venue de loin ne s’y vendent pas plus cher qu’ils n’ont coûté sur les lieux même. Voici la raison qu’on en donne : un capitaine, qui a besoin de lester son vaisseau, prendra du marbre ; il a besoin de bois pour l’arrimage, il en achetera : &, pourvu qu’il n’y perde rien, il croira avoir beaucoup fait. C’est ainsi que la Hollande a aussi ses carrieres & ses forêts.

Non-seulement un commerce qui ne donne rien peut être utile ; un commerce même désavantageux peut l’être. J’ai oui dire, en Hollande, que la pêche de la baleine, en général, ne rend presque jamais ce qu’elle coûte : mais ceux qui ont été employés à la construction du