Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/105

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CHAPITRE VI.

Autre paradoxe de Bayle.


M. BAYLE, après avoir insulté toutes les religions flétrit la religion chrétienne : il ose avancer que de véritables chrétiens ne formeroient pas un état qui pût subsister. Pourquoi non ? Ce seroient des citoyens infiniment éclairés sur leurs devoirs, & qui auroient un très-grand zèle pour les remplir ; ils sentiroient très-bien les droits de la défense naturelle ; plus ils croiroient devoir à la religion, plus ils penseroient devoir à la patrie. Les principes du christianisme, bien gravés dans le cœur, seroient infiniment plus forts que ce faux honneur des monarchies, ces vertus humaines des républiques, & cette crainte servile des états despotiques.

Il est étonnant qu’on puisse imputer à ce grand homme d’avoir méconnu l’esprit de sa propre religion ; qu’il n’ait pas sçu distinguer les ordres pour l’établissement du christianisme d’avec le christianisme même, ni les préceptes de l’évangile d’avec ses conseils. Lorsque le législateur, au lieu de donner des loix, a donné des conseils, c’est qu’il a vu que ses conseils, s’ils étoient ordonnés comme des loix, seroient contraires à l’esprit de ses loix.


CHAPITRE VII.

Des loix de perfection dans la religion.


LES loix humaines, faites pour parler à l’esprit, doivent donner des préceptes, & point des conseils : la religion, faite pour parler au cœur, doit donner beaucoup de conseils, & peu de préceptes.