Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/139

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enfans qui ont l’héritage de leur père, de haïr ceux qui ne l’ont pas eu ? Que si vous avez cette vérité, ne nous la cachez pas par la manière dont vous nous la proposez. Le carac- tere de la vérité, c’est son triomphe sur les cœurs & les esprits, & non pas cette impuissance que vous avouez, lorsque vous voulez la faire recevoir par des supplices. Si vous êtes raisonnables, vous ne devez pas nous faire mourir, parce que nous ne voulons pas vous trom- per. Si votre Christ est le fils de dieu, nous espérons qu’il nous récompensera de n’avoir pas voulu profaner ses mysteres : & nous croyons que le dieu que nous servons vous & nous, ne nous punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une religion qu’il nous a autrefois donnée, parce que nous Croyons qu’il nous l’a encore donnée. Vous vivez dans un siecle où la lumière naturelle est plus vive qu’elle n’a jamais été ; où la philosophie a éclairé ses esprits ; où la morale de votre évangile a été plus connue ; où les droits respectifs des hommes les uns sur les autres, l’empire qu’une conscience a sur une autre conscience, sont mieux établis. Si donc vous ne rêve- nez pas de vos anciens préjugés, qui, si vous n’y prenez garde, sont vos passions, il faut avouer que vous êtes incorrigibles, incapables de toute lumière & de toute ins- truction ; & une nation est bien malheureuse, qui donne de l’autorité à des hommes tels que vous. Voulez-vous que nous vous disions naïvement notre pensée ? Vous nous regardez plutôt comme vos enne- mis, que comme les ennemis de votre religion : car, si vous aimiez votre religion, vous ne la laisseriez pas corrompre par une ignorance grossiere. Il faut que nous vous avertirons d’une chose ; c’est que, si quelqu’un dans la postérité, ose jamais dire que, dans le siecle où nous vivons, les peuples d’Europe étoient policés, on vous citera pour prouver qu’ils étoient barbares ; & l’idée que l’on aura de vous sera telle, qu’elle flétrira votre siecle, & portera la haine sur tous vos contemporains.