Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’était pas prudente. Cela se prouve par l’abus même que l’on en fit. Philippe ne se fit-il pas donner le pouvoir de détruire les villes, sous prétexte qu’elles avaient violé les lois des Grecs ? Amphictyon aurait pu infliger d’autres peines : ordonner, par exemple, qu’un certain nombre de magistrats de la ville destructrice, ou de chefs de l’armée violatrice, seraient punis de morts ; que le peuple destructeur cesserait, pour un temps, de jouir des privilèges des Grecs ; qu’il paierait une amende jusqu’au rétablissement de la ville. La loi devait surtout porter sur la réparation du dommage.


Chapitre VI

Que les lois qui paraissent les mêmes n’ont pas toujours le même effet.


César défendit de garder chez soi plus de soixante sesterces[1]. Cette loi fut regardée à Rome comme très propre à concilier les débiteurs avec les créanciers ; parce qu’en obligeant les riches à prêter aux pauvres, elle mettait ceux-ci en état de satisfaire les riches. Une même loi, faite en France, du temps du Système, fut très funeste : c’est que la circonstance dans laquelle on la fit était affreuse. Après avoir ôté tous les moyens de placer son argent, on ôta même la ressource de le garder chez soi ; ce qui était égal à un enlèvement fait par violence. César fit sa loi pour que l’argent circulât parmi le peuple ; le ministre de France fit la sienne pour que l’argent fût mis dans une seule main. Le premier donna pour de l’argent des fonds de terre, ou des hypothèques sur des particuliers ; le second proposa pour de l’argent des effets qui n’avaient point de valeur, et qui n’en pouvaient avoir par leur nature, par la raison que sa loi obligeait de les prendre.

  1. Dion, liv. XLI.