Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/33

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dans le commerce aujourd’hui peuvent y être demain, & que les signes qui n’y sont point aujourd’hui peuvent y rentrer tout de même, l’établissement du prix des choses dépend toujours fondamentalement de la raison du total des choses au total des signes.

Ainsi le prince ou le magistrat ne peuvent pas plus taxer la valeur des marchandises, qu’établir, par une ordonnance, que le rapport d’un à dix est égal à celui d’un à vingt. Julien, ayant baissé les denrées à Antioche, y causa une affreuse famine[1].


CHAPITRE VIII.

Continuation du même sujet.


LES noirs de la côte d’Afrique ont un signe des valeurs, sans monnoie ; c’est un signe purement idéal, fondé sur le degré d’estime qu’ils mettent dans leur esprit à chaque marchandise, à proportion du besoin qu’ils en ont. Une certaine denrée ou marchandise vaut trois macutes ; une autre, six macutes ; une autre, dix macutes : c’est comme s’ils disoient simplement trois, six, dix. Le prix se forme par la comparaison qu’ils ont de toutes les marchandises entre elles : pour lors, il n’y a point de monnoie particuliere, mais chaque portion de marchandise est monnoie de l’autre.

Transportons, pour un moment, parmi nous, cette maniere d’évaluer les choses ; et joignons-la avec la nôtre : toutes les marchandises & denrées du monde, ou bien toutes les marchandises ou denrées d’un état en particulier considéré comme séparé de tous les autres, vaudront un certain nombre de macutes ; &, divisant l’argent de cet état en autant de parties qu’il y a de macutes, une partie divisée de cet argent sera le signe d’une macute.

  1. Histoire de l’église, par Socrate, liv. II.