Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/60

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Je quitte la ville, pour jetter un peu les yeux sur les provinces.

J’ai dit ailleurs[1] que les provinces Romaines étoient désolées par un gouvernement despotique & dur. Ce n’est pas tout : elles l’étoient encore par des usures affreuses.

Cicérons dit[2] que ceux de Salamine vouloient emprunter de l’argent à Rome, & qu’ils ne le pouvoient pas à cause de la loi Gabinienne. Il faut que je cherche ce que c’étoit que cette loi.

Lorsque les prêts à intérêt eurent été défendus à Rome, on imagine toutes sortes de moyens pour éluder la loi[3]: &, comme les alliés[4] & ceux de la nation Latine n’étoient point assujettis aux loix civiles des Romains, on se servit d’un Latin, ou d’un allié, qui prêtoit son nom, & paroissoit être le créancier. La loi n’avoit donc fait que soumettre les créanciers à une formalité, & le peuple n’étoit pas soulagé.

Le peuple se plaignit de cette fraude ; & Marcus Sempronius, tribun du peuple, par l’autorité du sénat, fit faire un plébiscite[5] qui portoit, qu’en fait de prêts, les loix, qui défendoient les prêts à usure entre un citoyen Romain & un autre citoyen Romain, auroient également lieu entre un citoyen & un allié, ou un Latin.

Dans ces temps-là, on appelloit alliés les peuples de l’Italie proprement dite, qui s’étendoient jusqu’à l’Arno & le Rubicon, & qui n’étoit point gouvernée en provinces Romaines.

Tacite[6] dit qu’on faisoit toujours de nouvelles fraudes aux lois faites pour arrêter les usures. Quand on ne put plus prêter, ni emprunter, sous le nom d’un allié, il fut aisé de faire paroître un homme des provinces, qui prêtoit son nom.


  1. Liv. XI, chap. XIX.
  2. Lettres à Atticus, liv V, lett. 21.
  3. Tite live.
  4. Ibid.
  5. L’an 516 de Rome. Voyez Tite Live.
  6. Annal. liv. VI.