Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/69

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sera toujours au-dessus de toute autre prudence. La nature donne aux pères un desir de procurer à leurs enfans des successeurs, qu’ils sentent à peine pour eux-mêmes : dans les divers degrés de progéniture, ils se voient avancer, insensiblement, vers l’avenir. Mais que seroit-ce, si la vexation & l’avarice alloient au point d’usurper l’autorité des pères ? Ecoutons Thomas Gage[1] sur la conduite des Espagnols dans les Indes.

"Pour augmenter le nombre des gens qui paient le tribut, il faut que tous les Indiens qui ont quinze ans se marient ; & même on a réglé le temps du mariage des Indiens à quatorze ans pour les mâles, & à treize pour les filles. On se fonde sur un canon qui dit que la malice peut suppléer à l’âge." Il vit faire un de ces dénombremens : c’étoit, dit-il, une chose honteuse. Ainsi, dans l’action du monde qui doit être la plus libre, les Indiens sont encore esclaves.


CHAPITRE VIII.

Continuation du même sujet.


EN Angleterre, les filles abusent souvent de la loi, pour se marier à leur fantaisie, sans consulter leurs parens. Je ne sçais pas si cet usage ne pourroit pas y être plus toléré qu’ailleurs, par la raison que les loix n’y ayant point établi un célibat monastique, les filles n’y ont d’état à prendre que celui du mariage, & ne peuvent s’y refuser. En France, au contraire, où le monachisme est établi, les filles ont toujours la ressource du célibat ; & la loi qui leur ordonne d’attendre le consentement des peres, y pourroit être plus convenable. Dans cette idée, l’usage d’Italie & d’Espagne seroit le moins raisonnable : le monachisme y est établi, & l’on peut s’y marier sans le consentement des peres.

  1. Relation de Thomas Gage, pag. 171.