Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/80

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la mort des trois cens cinq Fabiens exterminés par les Véiens, il ne fût resté de cette race qu’un seul enfant ; parce que la loi ancienne, qui ordonnoit à chaque citoyen de se marier, & d’élever tous ses enfans, étoit encore dans sa vigueur[1].

Indépendamment des loix, les censeurs eurent l’œil sur les mariages ; &, selon les besoins de la république, ils y engagerent, & par la honte[2], & par les peines.

Les mœurs, qui commencerent à se corrompre, contribuerent beaucoup à dégoûter les citoyens du mariage, qui n’a que des peines pour ceux qui n’ont plus de sens pour les plaisirs de l’innocence. C’est l’esprit de cette harangue[3] que Métellus Numidieus fit au peuple dans sa censure. "S’il étoit possible de n’avoir point de femme, nous nous délivrerions de ce mal : mais, comme la nature a établi que l’on ne peut gueres vivre heureux avec elles, ni subsister sans elles, il faut avoir plus d’égards à notre conservation, qu’à des satisfactions passageres."

La corruption des mœurs détruisit la censure, établie elle-même pour détruire la corruption des mœurs : mais, lorsque cette corruption devient générale, la censure n’a plus de force[4].

Les discordes civiles, les triumvirats, les proscriptions affoiblirent plus Rome, qu’aucune guerre qu’elle eût encore faite : il restoit peu de citoyens[5], & la plupart n’étoient pas mariés. Pour remédier a ce dernier mal, César & Auguste rétablirent la censure, &


  1. L’an de Rome 277.
  2. Voyez, sur ce qu’ils firent à cet égard, Tite Live, liv. XLV ; l’épitome de Tite Live, liv. LIX ; Aulugelle, liv. I, chap. VI ; Valere Maxime, livre II, chap. XIX.
  3. Elle est dans Aulugelle, liv. I, chap. VI.
  4. Voyez ce que j’ai dit au liv. V, chap. XIX.
  5. César, après la guerre civile, ayant fait faire le cens, il ne s’y trouva que cent cinquante mille chefs de famille. Epitome de Florus sur Tite Live, douzieme décade.