Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/81

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voulurent même être censeurs[1]. Ils firent divers réglemens : César donna des récompenses à ceux qui avoient beaucoup d’enfans[2] ; il défendit aux femmes qui avoient moins de quarante-cinq ans, & qui n’avoient ni maris ni enfans, de porter des pierreries, & de se servir de litieres[3] : méthode excellente d’attaquer le célibat par la vanité. Les loix d’Auguste furent plus pressantes[4] : il imposa[5] des peines nouvelles à ceux qui n’étoient point mariés, & augmenta les récompenses de ceux qui l’étoient, & de ceux qui avoient des enfans. Tacite appelle ces loix Juliennes[6] ; il y a apparence qu’on y avoit fondu les anciens réglemens faits par le sénat, le peuple & les censeurs.

La loi d’Auguste trouva mille obstacles, &, trente-quatre ans[7] après qu’elle eut été faite, les chevaliers Romains lui en demanderent la révocation. Il fit mettre d’un côté ceux qui étoient mariés, & de l’autre ceux qui ne l’étoient pas : ces derniers parurent en plus grand nombre ; ce qui étonna les citoyens, & les confondit. Auguste, avec la gravité des anciens censeurs, leur parla ainsi[8].

"Pendant que les maladies & les guerres nous enlevent tant de citoyens, que deviendra la ville, si on ne contracte plus de mariages ? La cité ne consiste point dans les maisons, les portiques, les places publiques : ce sont les hommes qui font la cité. Vous ne verrez point, comme dans les fables, sortir des hommes de dessous la terre, pour prendre soin de vos affaires. Ce n’est point pour vivre seuls que vous restez dans le cé-


  1. Voyez Dion, liv. XLIII ; & Zéphil.in August.
  2. Dion, liv. XLIII ; Suétone, vie de César, chap. XX< :small> ; Appien, liv. II de la guerre civile.
  3. Eusebe, dans sa chronique.
  4. Dion, liv. LIV.
  5. L’an 736 de Rome.
  6. Julias rogationes, annal. liv. III.
  7. L’an 762 de Rome, 'Dion, liv. LVI.
  8. J’ai abrégé cette harangue, qui est d’une longueur accablante : elle est rapportée dans Dion, liv. LVI.