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Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/88

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jurisconsultes les regarderent comme odieuses ; &, dans leurs décisions, en abandonnerent la rigueur.

D’ailleurs, les empereurs énerverent ces loix, par les privileges qu’ils donnèrent des droits de maris, d’enfans, & de trois enfans[1]. Ils firent plus : ils dispenserent les particuliers des peines de ces loix[2]. Mais des regles établies pour l’utilité publique sembloient ne devoir point admettre de dispense.

Il avoit été raisonnable d’accorder le droit d’enfans aux vestales, que la religion retenoit dans une virginité nécessaire[3]: on donna de même le privilege des maris aux soldats[4], parce qu’ils ne pouvoient pas se marier. C’étoit la coutume d’exempter les empereurs de la gêne de certaines loix civiles : ainsi Auguste fut exempté de la gêne de la loi qui limitoit la faculté d’affranchir[5], & de celle qui bornoit la faculté de léguer[6]. Tout cela n’étoit que des cas particuliers : mais, dans la suite, les dispenses furent données sans ménagement, & la regle ne fut plus qu’une exception.

Des sectes de philosophie avoient déjà introduit dans l’empire un esprit d’éloignement pour les affaires, qui n’auroit pu gagner à ce point dans le temps de la république, où tout le monde étoit occupé des arts de la guerre & de la paix[7]. De là une idée de perfection attachée à tout ce qui mené à une vie spécu-

lative :

  1. P. Scipion, censeur, dans sa harangue au peuple sur les mœurs, se plaint de l’abus qui déjà s’étoit introduit, que le fils adoptif donnoit le même privilege que le fils naturel. Aulugelle, liv. V, ch. XIX.
  2. Voyez la loi XXXI, ff. de ritu nuptiarum.
  3. Auguste, par la loi Pappienne, leur donna le même privilege qu’aux meres, voyez Dion, liv. LVI. Numa leur avoit donné l’ancien privilege des femmes qui avoient trois enfans, qui est de n’avoir point de curateur ; Plutarque, dans la vie de Numa.
  4. Claude le leur accorda. Dion, liv. LX.
  5. Leg. apud eum, ff. de mannumissionib. §. I.
  6. Dion, liv. LV.
  7. Voyez, dans les offices de Cicéron, ses idées sur cet esprit de spéculation.