Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfans : mais, là où le célibat avoit la préeminence, il ne pouvoit plus y avoir d’honneur pour le mariage ; &, puisque l’on put obliger les traitans à renoncer à tant de profits par l’abolition des peines, on sent qu’il fut encore plus aisé d’ôter les récompenses.

La même raison de spiritualité, qui avoit fait permettre le célibat, imposa bientôt la nécessité du célibat même. A dieu ne plaise que je parle ici contre le célibat qu’a adopté la religion : mais qui pourroit se taire contre celui qu’a formé le libertinage ; celui où les deux sexes, se corrompant par les sentimens naturels même, fuient une union qui doit les rendre meilleurs, pour vivre dans celle qui les rend toujours pires ?

C’est une règle tirée de la nature, que, plus on diminue le nombre des mariages qui pourroient se faire, plus on corrompt ceux qui sont faits : moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages ; comme lorsqu’il y a plus de voleurs, il y a plus de vols.


CHAPITRE XXII.

De l’exposition des enfans.


LES premiers Romains eurent une assez bonne police sur l’exposition des enfans. Romulus, dit Denys d’Halicarnasse, imposa à tous les citoyens la nécessité d’élever tous les enfans mâles, & les ainées des filles[1]. Si les enfans étoient difformes & monstrueux, il permettoit de les exposer, après les avoir montrés à cinq des plus proches voisins.

Romulus ne permit de tuer aucun enfant qui eût moins de trois ans[2] : par-là il concilioit la loi qui donnoit aux peres le droit de vie & de mort sur leurs enfans, & celle qui défendoit de les exposer.


  1. Antiquités Romaines, liv. II.
  2. Ibid.