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l’édition avec Supplément, de 1754, celle que nous considérons et reproduisons comme définitive (Montesquieu mourut au commencement de 1755). Partout, avant le Supplément, le nombre des lettres est de cent cinquante. Dans la seconde-Marteau il est réduit à cent quarante. Treize ont été supprimées (I, V, X, XV, XXIII, XXX, XXXIX, XL, XLI, XLV, LXIII, LXVIII, LXIX de l’édition type) ; huit présentent quelques changements (VII, IX, XI, XVII, XXII, XXXVII, LXXXIV, CXXXVII). Trois ont été ajoutées : Sottise du peuple durant la Fronde, Libéralités des princes, Embarras des gens d’esprit ; qui portent dans la seconde-Marteau les nos LVIII, LIX, LX, et qui figurent dans le Supplément de 1754.

M. Vian a été tout d’abord et justement frappé de ces suppressions, de ces remaniements et de la rareté relative d’une édition à laquelle Montesquieu ne peut être étranger, puisqu’on y relève des additions conservées par le texte définitif. Ajoutez que les changements s’arrêtent au tome 1er, que le 2e demeure intact sauf les numéros des lettres, que ce fait semble l’indice d’une certaine précipitation, en tout cas d’une intention cachée.

La date seule, 1721, embarrassait M. Vian ; mais dès qu’il eut découvert, dans le Journal littéraire de 1729, deux comptes rendus élogieux, presque édifiants, de cette seconde édition, sous la rubrique : livres parus en 1721 et de 1722 à 1728 ; il ne douta pas qu’il eût entre les mains l’édition citée par Voltaire ; car s’il n’en avait paru aucune de 1722 à 1730, et aucune en effet ne porte de date intermédiaire, pourquoi le Journal littéraire se fût-il occupé des Lettres en 1729 ? Cette seconde-Marteau ne pouvait-elle pas avoir été antidatée « pour faire croire » à l’ancienneté de modifications imposées par des circonstances récentes ?

Voilà, certes, des remarques intéressantes, des arguments bien présentés, des déductions correctes. Et cependant nous ne sommes pas convaincus. C’est qu’à cette seconde édition, dont M. Vian croyait il y a peu d’années posséder le seul exemplaire connu, qui manque à la Bibliothèque nationale mais que nous avons compulsée et collationnée à l’Arsenal, (19630 B.), il manque beaucoup pour répondre au signalement donné par Voltaire. On n’en a pas retranché, on n’y a pas adouci « tout ce qui pouvoit être condamné par un cardinal ou par un ministre.  » À ce point qu’en 1751, vingt ans après la date officielle, vraie ou fausse, c’est d’après le texte expurgé, en citant les numéros nouveaux, que M. G. (l’abbé Gaultier, né à Louviers en 1685, mort à Paris en 1755, théologien des évêques de Boulogne (de Langle) et de Montpellier (Colbert), rédigeait un violent factum, dont nous reparlerons : Les Lettres persannes