Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/10

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entendues. Mais que s’était-il passé dans sa visite au cardinal ? À quelles soumissions s’était-il prêté ? Fleury affirme que tout le monde en était instruit. Le fait est qu’on n’en sait rien. Trois hypothèses se présentent, l’une adoptée par « les trois panégyristes de Montesquieu », l’autre insinuée, à la suite de la première, par d’Alembert dans son éloge, l’autre relatée dans une note du Siècle de Louis XIV, et soutenue par M. Vian.

D’après la première opinion, Montesquieu aurait déclaré au cardinal « qu’il ne se disoit pas l’auteur des Lettres persanes, mais qu’il ne les désavoueroit jamais. » Puis il aurait lu lui-même quelques passages bien choisis, et le ministre, séduit par l’habileté du lecteur, aurait trouvé l’ouvrage moins dangereux qu’agréable. D’Alembert, écrivant sous l’inspiration des Secondat, prétend à faux que « parmi les véritables Lettres, l’imprimeur étranger en avait inséré quelques-unes d’une autre main » (Bel ? Barbaud ?) et qu’il aurait fallu du moins, « avant de condamner l’auteur, démêler ce lui appartenoit en propre. »

Ces explications, qui se tiennent, peuvent sembler confirmées par une sorte de désaveu indirect que nous relevons dans le discours de réception : « Le génie que le public remarque en vous le déterminera à vous attribuer les ouvrages anonymes où il trouvera de l’imagination, de la vivacité, et des traits hardis ; et, pour faire honneur à votre esprit, il vous les donnera, malgré les précautions que vous suggère votre prudence. » Ce compromis, cette réticence discrète étaient probablement connus, acceptés ou imposés par le cardinal. Il est permis encore de voir dans les Réflexions sur les Lettres persanes v. p. 1, publiées en tête du Supplément de 1754, la substance de l’apologie que Montesquieu présenta au ministre.

Voici maintenant la version de Voltaire, rejetée par Sainte-Beuve et beaucoup d’autres : « Montesquieu fit faire en peu de jours une nouvelle édition de son livre, dans lequel on retrancha ou on adoucit tout ce qui pouvoit être condamné par un cardinal ou par un ministre. » C’est justement ce que fit Voltaire lui-même en 1732 pour obtenir de Fleury l’autorisation de publier les Lettres anglaises. L’anecdote n’est donc pas invraisemblable. D’autre part, il existe une édition des Lettres persanes, modifiée uniquement dans le premier volume et pourvue d’un sous-titre caractéristique : LETTRES PERSANES, seconde édition, revue, corrigée, diminuée et augmentée par l’auteur. À Cologne, chez Pierre Marteau, 1721. Notez que le même Marteau avait également donné en 1721 un texte conforme à celui d’Amsterdam-Brunel, qui a été suivi du vivant de l’auteur par toutes les éditions subséquentes, 1730, 1731, 1737, 1739, 1740, 1744, 1748, 1753, jusques et y compris