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Effrayées de ce péril, nous nous évanouîmes presque toutes. Je me souviens que j’entendis la voix et la dispute de nos eunuques, dont les uns disoient qu’il falloit nous avertir du péril et nous tirer de notre prison ; mais leur chef soutint toujours qu’il mourroit plutôt que de souffrir que son maître fût ainsi déshonoré, et qu’il enfonceroit un poignard dans le sein de celui qui feroit des propositions si hardies. Une de mes esclaves, toute hors d’elle, courut vers moi déshabillée, pour me secourir, mais un eunuque noir la prit brutalement et la fit rentrer dans l’endroit d’où elle étoit sortie. Pour lors je m’évanouis, et ne revins à moi qu’après que le péril fut passé.

Que les voyages sont embarrassants pour les femmes ! Les hommes ne sont exposés qu’aux dangers qui menacent leur vie, et nous sommes, à tous les instants, dans la crainte de perdre notre vie ou notre vertu. Adieu, mon cher Usbek. Je t’adorerai toujours.

Du sérail de Fatmé, le 2 de la lune de Rhamazan 1713.

LETTRE xlviii.

Usbek à Rhédi.
À Venise.


Ceux qui aiment à s’instruire ne sont jamais oisifs quoique je ne sois chargé d’aucune affaire importante, je suis cependant dans une occupation continuelle. Je passe ma vie à examiner ;