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Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/119

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dont la bonté et la politesse ne se démentent à l’égard de personne ; Il fit leur épithalame, lorsqu’ils se marièrent : C’est ce qu’il a fait de mieux en sa vie ; car il s’est trouvé que le mariage a été aussi heureux qu’il l’a prédit.

Vous ne le croiriez pas peut-être, ajouta-t-il, entêté comme vous l’êtes des préjugés de l’Orient : il y a parmi nous des mariages heureux, et des femmes dont la vertu est un gardien sévère. Les gens dont nous parlons goûtent entre eux une paix qui ne peut être troublée ; ils sont aimés et estimés de tout le monde : Il n’y a qu’une chose ; c’est que leur bonté naturelle leur fait recevoir chez eux toute sorte de monde ; ce qui fait qu’ils ont quelquefois mauvaise compagnie. Ce n’est pas que je les désapprouve ; il faut vivre avec les gens tels qu’ils sont : les gens qu’on dit être de bonne compagnie ne sont souvent que ceux dont le vice est plus raffiné ; et peut-être en est-il comme des poisons, dont les plus subtils sont aussi les plus dangereux.

Et ce vieux homme, lui dis-je tout bas, qui a l’air si chagrin ? je l’ai pris d’abord pour un étranger ; car, outre qu’il est habillé autrement que les autres, il censure tout ce qui se fait en France, et n’approuve pas votre gouvernement. C’est un vieux guerrier, me dit-il, qui se rend mémorable à tous ses auditeurs par la longueur de ses exploits. Il ne peut souffrir que la France ait gagné des batailles où il ne se soit pas trouvé, ou qu’on vante un siège où il n’ait pas monté à la tranchée : Il se croit si nécessaire à notre histoire, qu’il s’imagine qu’elle finit où il a fini ; il regarde quelques blessures qu’il a reçues, comme la dissolution de la monarchie, et, à la différence