Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/121

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commencer à les charger dans le temps qu’ils s’affaiblissent."

Un moment après, la curiosité me reprit, et je lui dis : Je m’engage à ne vous plus faire de questions, si vous voulez encore souffrir celle-ci. Qui est ce grand jeune homme qui a des cheveux, peu d’esprit et tant d’impertinence ? D’où vient qu’il parle plus haut que les autres et se sait si bon gré d’être au monde ? C’est un homme à bonnes fortunes, me répondit-il. À ces mots, des gens entrèrent, d’autres sortirent, on se leva, quelqu’un vint parler à mon gentilhomme, et je restai aussi peu instruit qu’auparavant. Mais, un moment après, je ne sais par quel hasard ce jeune homme se trouva auprès de moi, et, m’adressant la parole : Il fait beau ; Voudriez-vous, Monsieur, faire un tour dans le parterre ? Je lui répondis le plus civilement qu’il me fut possible, et nous sortîmes ensemble. Je suis venu à la campagne, me dit-il, pour faire plaisir à la maîtresse de maison, avec laquelle je ne suis pas mal : Il y a bien certaine femme dans le monde qui pestera un peu, mais qu’y faire ? Je vois les plus jolies femmes de Paris ; mais je ne me fixe pas à une, et je leur en donne bien à garder : car entre vous et moi, je ne vaux pas grand-chose. Apparemment, Monsieur, lui dis-je, que vous avez quelque charge ou quelque emploi qui vous empêche d’être plus assidu auprès d’elles. Non, Monsieur, je n’ai d’autre emploi que de faire enrager un mari ou désespérer un père ; j’aime à alarmer une femme qui croit me tenir, et la mettre à deux doigts de ma perte. Nous sommes quelques jeunes gens qui partageons ainsi tout Paris, et l’intéressons à nos moindres démarches. À ce