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Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/122

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que je comprends, lui dis-je, vous faites plus de bruit que le guerrier le plus valeureux, et vous êtes plus considéré qu’un grave magistrat. Si vous étiez en Perse, vous ne jouiriez pas de tous ces avantages ; vous deviendriez plus propre à garder nos dames qu’à leur plaire. Le feu me monta au visage ; et je crois que pour peu que j’eusse parlé, je n’aurois pu m’empêcher de le brusquer.

Que dis-tu d’un pays où l’on tolère de pareilles gens, et où l’on laisse vivre un homme qui fait un tel métier ? où l’infidélité, la trahison, le rapt, la perfidie et l’injustice conduisent à la considération ? où l’on estime un homme parce qu’il ôte une fille à son père, une femme à son mari, et trouble les sociétés les plus douces et les plus saintes ? Heureux les enfants d’Ali, qui défendent leurs familles de l’opprobre et de la séduction ! La lumière du jour n’est pas plus pure que le feu qui brûle dans le cœur de nos femmes : nos filles ne pensent qu’en tremblant au jour qui doit les priver de cette vertu qui les rend semblables aux anges et aux puissances incorporelles. Terre natale et chérie, sur qui le soleil jette ses premiers regards, tu n’es point souillée par les crimes horribles qui obligent cet astre à se cacher dès qu’il paroît dans le noir Occident !

À Paris, le 5 de la lune de Rhamazan, 1713.