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Il les quitte, comme s’ils ne pouvoient le contenir, et va chercher dans l’Europe d’autres provinces et de nouveaux royaumes.

Je t’embrasse, mon cher Usbek. Donne-moi de tes nouvelles, je te conjure.

De Moscou, le 2 de la lune de Chalval, 1713.

LETTRE lii.

Rica à Usbek.
À ***.


J’étois l’autre jour dans une société où je me divertis assez bien. Il y avoit là des femmes de tous les âges : une de quatre-vingts ans, une de soixante, une de quarante, laquelle avoit une nièce de vingt à vingt-deux. Un certain instinct me fit approcher de cette dernière, et elle me dit à l’oreille : Que dites-vous de ma tante, qui, à son âge, veut avoir des amants et fait encore la jolie ? Elle a tort, lui dis-je : c’est un dessein qui ne convient qu’à vous. Un moment après, je me trouvai auprès de sa tante, qui me dit : Que dites-vous de cette femme, qui a pour le moins soixante ans, qui a passé aujourd’hui plus d’une heure à sa toilette ? C’est du temps perdu, lui dis-je ; et il faut avoir vos charmes pour devoir y songer. J’allai à cette malheureuse femme de soixante ans, et la plaignois dans mon âme, lorsqu’elle me dit à l’oreille : Y a-t-il rien