Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/157

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eunuques n’ont commencé par soumettre leur esprit ?

Il avoit non seulement de la fermeté, mais aussi de la pénétration : il lisoit leurs pensées et leurs dissimulations ; leurs gestes étudiés, leur visage feint ne lui déroboient rien ; il savoit toutes leurs actions les plus cachées et leurs paroles les plus secrètes ; il se servoit des unes pour connoître les autres, et il se plaisoit à récompenser la moindre confidence. Comme elles n’abordoient leur mari que lorsqu’elles étoient averties, l’eunuque y appeloit qui il vouloit, et tournoit les yeux de son maître sur celle qu’il avoit en vue ; et cette distinction étoit la récompense de quelque secret révélé : il avoit persuadé à son maître qu’il étoit du bon ordre qu’il lui laissât ce choix, afin de lui donner une autorité plus grande. Voilà comme on gouvernoit, magnifique seigneur, dans un sérail qui étoit, je crois, le mieux réglé qu’il y eût en Perse.

Laisse-moi les mains libres : permets que je me fasse obéir ; huit jours remettront l’ordre dans le sein de la confusion ; c’est ce que ta gloire demande, et que ta sûreté exige.

De ton sérail d’Ispahan, le 9 de la lune de Rebiab 1, 1714.